Le télétravail... Découvrez le billet de Danièle Linhart
Danièle Linhart, sociologue, Lire le Billet et feuilleter un extrait choisi par l'auteure
interroge la solution du télétravail que de nombreuses entreprises
ont adoptée pour continuer leur activité durant le confinement.
"Le télétravail est un mode d’adaptation de notre monde professionnel à cette situation inédite de confinement. Au-delà du contexte anxiogène lié à la peur du virus et la perte de liberté citoyenne qu’il entraîne, on peut se demander si l’expérience de ce télétravail fera la démonstration des qualités qu’on lui prête.
Certes le télétravail a des aspects sympathiques (moindres déplacements et moindres dérangements dus aux collègues parfois trop pesants, liberté plus grande liée à l’absence de la hiérarchie et plaisir de se sentir chez soi au travail), mais il a plusieurs aspects problématiques. Travailler loin des autres risque d’accroître une dérive que le management moderniste a introduit, à savoir la stimulation d’une dimension narcissique qui réduit le sens même du travail, qui veut que l’on travaille pour autrui, et avec autrui, et non pour être le meilleur dans un esprit de concurrence avec les autres et soi-même.
Travailler loin des autres risque aussi d’accentuer la dimension abstraite du travail introduite par un management obsédé par les chiffres, la formalisation, le contrôle et qui multiplie les procédures, les protocoles, les reportings. Travailler loin des autres fait également courir le risque à chacun de disposer d’une moindre intelligence, expérience, inventivité, pour affronter les difficultés et de ses missions, en le privant du soutien d’un collectif de plus en plus nécessaire. Car le management moderne impose des objectifs individuels de plus en plus exigeants, dans un contexte de changement perpétuel, qui disqualifie la professionnalité et l’expérience personnelles créant ainsi une précarité subjective. Au-delà de la précarité objective (qui se caractérise par des types d’emplois non stables), on observe en effet une précarité subjective liée à la peur, dans cette tourmente de changements permanents, de ne plus s’y retrouver, de ne pas y arriver, la peur de ne plus pouvoir tenir sa place. Cela peut déboucher sur une dévalorisation de l’image de soi. Le huis clos qu’impose le télétravail risque d’enfermer chacun un peu plus dans un sentiment d’impuissance et de vulnérabilité, et de le confiner solitairement dans le lien de subordination qui caractérise la relation salariale."
Danièle Linhart
Découvrez gratuitement un extrait de son livre "La comédie humaine du travail"