Entretien avec Rozenn Caris
Claire Schaeffer : Rozenn Caris, en 2019, vous avez pris la direction de la revue VST Vie sociale et traitements fondée en 1954 par Georges Daumézon et Germaine Le Guillant dans le cadre des Ceméa (centre d’entrainement aux méthodes éducatives actives) où ils avaient en charge la formation des infirmiers en psychiatrie. Les éditions érès coéditent cette belle revue depuis 2004 alors que Serge Vallon en était le rédacteur en chef, suivi en 2009 par François Chobeaux. Vous êtes également très engagée : éducatrice spécialisée, formatrice en travail social et santé mentale, chargée de mission travail social, santé, psychiatrie à l’association nationale des Ceméa. C’est un parcours impressionnant, pourriez-vous nous raconter ce qui vous y a mené ?
Rozenn Caris : Il y a… longtemps, dans les années 1990, après quelques expériences professionnelles, je me suis présentée au concours d’entrée en formation pour devenir éducatrice spécialisée. On m’a demandé pourquoi je voulais faire ce travail. Et me voilà à invoquer des raison politiques, la place des personnes les plus fragiles dans notre société, citant Lucien Bonnafé « on juge du degré de civilisation d’une société... » Avec le recul, je me rends compte que tout était déjà là : l’engagement, le sens politique de l’éducation (pas uniquement spécialisée), le lien avec les grandes figures d’après-guerre, celles de la psychothérapie institutionnelle en particulier et le fait d’être une grande lectrice avec une vraie passion pour l’écriture, sous toutes ses formes, depuis toute petite.
J’ai travaillé pendant 21 ans dans le médico-social, sans cesser de me questionner, d’écrire, de lire et j’étais, à l’époque, une lectrice de VST, revue très présente dans les instituts de formation en travail social ! Sa ligne éditoriale, le choix des textes, les idées portées par la revue me plaisaient particulièrement.
J’ai aussi fait une petite incursion dans l’animation et l’éducation populaire. Après avoir commencé à intervenir comme formatrice, j’ai repris des études universitaires, en sciences de l’éducation à Tours avec des cursus dont les modalités pédagogiques s’inspiraient de l’Éducation nouvelle. C’est à ce moment que j’ai proposé mes premiers textes à VST, très bien accueillis, puis que j’ai intégré le comité de rédaction quelques temps plus tard. Quand François a fait part de l’appel de candidature pour lui succéder, j’ai postulé. Je suis devenue rédactrice en chef dans la revue ou écrivait… Lucien Bonnafé ! C’est assez émouvant. Comme de retrouver au comité de rédaction des auteurs que j’avais cités dans mes travaux. Et puis, c’était aussi entrer pleinement aux Ceméa, qui allient éducation et projet politique.
CS : La revue VST fêtera ses 70 ans d’existence en 2024. Pourriez-vous nous en dire plus sur les Ceméa ? Qui sont-ils ? Comment sont-ils organisés ?
RC : Les Ceméa, c’est d’abord un mouvement militant de l’Éducation nouvelle mais aussi une association d’éducation populaire qui existe depuis 1937. Le principal mode d’action des Ceméa, avec les terrains d’application (espaces d’accueil) c’est la formation : volontaire ou professionnelle, formation qualifiante, formation continue, une formation toujours inscrite dans un projet politique. Elle s’adresse aux animateurs (c’est le plus connu), aux enseignants, aux travailleurs sociaux et aux professionnels de la psychiatrie. C’est d’ailleurs des premiers stages pour les infirmiers qu’est né VST en 1954.
Les Ceméa, c’est un réseau constitué de l’association nationale tête de réseau, d’associations territoriales hexagonales ou ultramarines qui développent des actions en fonction de leur territoire.
CS : Les colonnes de VST sont un lieu d’accueil des productions issues des courants désaliénistes, et un espace d’expression et de confrontation critique pour les équipes éducatives, soignantes et tous les travailleurs sociaux et travailleuses sociales. Si l’on compare les problématiques abordées entre le premier numéro et le dernier, le n° 161 (Les métiers de l’humain, la résistance s’organise), que constate-t-on ? Les préoccupations des professionnels ont-elles beaucoup évolué ? Comment ?
RC : Les préoccupations des professionnels dans VST sont toujours les mêmes : comment accompagner les patients, puis usagers du social, avec une approche globale, humaniste, pluridisciplinaire ? Comment interroger la société dans ses évolutions aussi ? Comment rester critique, distancié par rapport aux modes ? Comment penser et partager sa pratique ?
Par contre, le public a évolué (lecteurs et auteurs) puisqu’avec la disparition du diplôme d’infirmier du secteur psychiatrique, il y a eu moins de ces professionnels de la psychiatrie présents dans les pages de VST. Ce sont les travailleurs sociaux qui, petit à petit, ont commencé à écrire dans la revue, et la lire. Aujourd’hui, ils sont majoritaires.
Enfin, s’il s’agit de toujours penser sa pratique, questionner les enjeux sociaux, si au début il s’agissait de « reformer l’hôpital » en y créant des ateliers, en pensant la vie quotidienne, la prise en compte collective des patients…, aujourd’hui pour beaucoup de textes, il s’agit de continuer à transmettre, à partager des pratiques alors que les espaces d’échanges et de réflexion pour les professionnels se raréfient sur le terrain.
CS : Pour finir sur une note plus optimiste, cette année, vous célébrez les 70 ans de la revue. Quelles sont les réjouissances prévues ? Comment y participer ?
RC : Nous avons réalisé une exposition de 26 panneaux, accompagnés de textes retraçant l’histoire de VST et des secteurs professionnels (sanitaire, médico-social, social...). La particularité de VST est de faire appel à des illustrateurs pour sa couverture et deux pages intérieures. Les artistes disposent du même texte de départ que les auteurs d’un dossier et interprètent le thème à leur manière. Comme certains de ces illustrateurs (André François, Jean-Michel Folon, Roland Topor…) sont devenus des incontournables de notre panorama artistique, nous avons souhaité les mettre en valeur.
Les 26 panneaux reprennent donc 25 couvertures, avec leur illustration. Se rajoute une 26e illustration commandée pour l’événement, où un illustrateur a travaillé à partir de la ligne éditoriale de VST.
Cette exposition, inaugurée aux Ceméa Île-de-France en janvier, va maintenant parcourir la France dans les Ceméa en régions, mais aussi dans des grands événements comme le festival international du film d’éducation ou les rencontres du réseau « Jeunes en errance ». L’exposition sera aussi présente dans des rencontres organisées avec des partenaires du côté de la psychiatrie, comme les journées de Saint-Alban. D’autres sont encore en réflexion, comme dans des irts ou iut. L’exposition va tourner pendant deux ans.
Sur le site des Ceméa, on peut retrouver les dates et lieux des divers événements présents avec l’exposition : stages, journées d’étude, etc.