Entretien avec Jean-Luc Noël


 

Marie-Françoise Dubois-Sacrispeyre : Jean-Luc Noël, vous êtes psychologue clinicien spécialisé dans l’accompagnement et la thérapie des sujets âgés et de leurs proches. Après de longues années de pratiques hospitalières (APHP) dans des services de psychogériatrie et de psychiatrie du sujet âgé, vous exercez à présent en libéral dans l’accompagnement des équipes soignantes et de direction, des proches de malades qui présentent une maladie neurodégénérative, de malades présentant une maladie neurodégénérative pour un soutien psychologique et un meilleur vécu de la maladie. Par ailleurs, vous êtes salarié d’une association d’EHPAD et de services aux personnes âgées (ISATIS) en tant que référent éthique et bientraitance responsable de la mise en place opérationnelle de l’éthique, de la bientraitance, de l’innovation et de la formation. Vous participez également à la vie gérontologique nationale (association Old-Up, Espace éthique Île-de-France, Fondation de France, émissions de télévision, publications, etc.). Dans l’ouvrage que nous publions dans la collection « L’âge et la vie », vous décrivez les fondamentaux du travail en EHPAD à connaître absolument pour offrir aux personnes âgées accueillies une vie heureuse et réussie dans ces établissements à la sombre réputation… Pourriez-vous nous parler de votre parcours qui est riche d’expériences et d’engagements ?

Jean-Luc Noël : Mon parcours est guidé par la volonté de donner, toujours, la parole aux personnes vieillissantes. Dès le début de ma carrière, en tant que psychologue hospitalier spécialisé dans les maladies neuro-dégénératives, j’ai souhaité aider les personnes aux capacités cognitives altérées à garder la meilleure qualité de vie possible. Pour cela il était nécessaire de trouver les moyens de conserver une relation avec elles et de développer chez le personnel soignant qui les accompagnait une bonne compréhension de leurs troubles et la certitude qu’une communication restait possible.  J’ai alors acquis une grande expérience dans la mise en place de dispositifs de recueil de la parole chez les malades d’Alzheimer et de travail avec les équipes. Cette volonté de toujours chercher la parole, de m’appuyer sur une présomption de compétence des malades et de favoriser leur autonomie décisionnelle malgré les troubles ne m’a jamais quittée.

Ainsi dans le développement de mes activités (psychopathologie, du sujet âgé, psychologie du vieillissement, travail avec des équipes du domicile dans les MAIA, DAC, réseau, accueil de jour…), ma compréhension psychologique et psychodynamique des personnes s’est appuyée sur la certitude qu’il y avait toujours du sens et de la cohérence à trouver dans les symptômes des malades. 

Parallèlement à cette activité clinique, des rencontres m’ont fait découvrir le milieu de la gérontologie, et j’ai pu m’investir dans la lutte contre l’âgisme et en faveur du développement d’initiatives innovantes dans le domaine social et de la prise en compte de la place sociale des vieux en général. J’ai ainsi été président du comité personnes âgées de la Fondation de France, ce qui m’a offert une bonne connaissance des initiatives sur les territoires et permis de valoriser les actions permettant la prise en compte de ce que veulent vraiment les personnes âgées.

De la même manière, j’ai pu participer aux travaux de l’Espace éthique Île-de France autour de la maladie d’Alzheimer et de la fin de vie.

Tous ces engagements témoignent de ma grande sensibilité aux questions du vieillissement, à la place sociale des personnes âgées, aux stéréotypes associés au vieillissement et à la nécessité de les aborder dans une approche multidimensionnelle (autant psychologie, que sociale et éthique). Ainsi, en dehors de mes compétences classiques de psychologue (thérapie du sujet âgé, animation de groupes de paroles ou d’analyse de pratiques …), j’ai recours à d’autres disciplines des sciences humaines et sociales, qui nous donnent des outils pour aider les plus vulnérables en favorisant leur reconnaissance sociale et individuelle, parfois perdue avec les dépendances physiques et l’isolement dus à la vieillesse.  Mon expérience hospitalière m’a conduit à accompagner la fin de vie et la mort, épreuves sensibles et déniées socialement. J’ai acquis la conviction qu'il était fondamental de donner tout son sens à cette fin de vie, pour qu’elle soit entièrement intégrée dans le mouvement de la vie, sans rejet, sans solitude et sans traumatisme.

Le fait que le travail si noble et primordial des soignants d’EHPAD, qui accompagnent les personnes âgées jusqu’à la mort, soit dénigré, décrié, accusé, ne cesse de m’offusquer. Et il est important de ramener le sujet au bon endroit : la mort existe, qu’on le veuille ou non, et si les résidents meurent, ce n’est pas en raison de mauvais soins (même si cela peut parfois être le cas évidement) mais parce ce que c’est dans l’ordre des choses.

MFDS : En quoi consiste votre fonction de référent éthique et bienveillance au sein de l’association d’EHPAD Isatis ?

L’accompagnement des EHPAD et la lutte contre la maltraitance a été une part importante de mon activité des dernières années. J’ai donc rejoint ISATIS (association à but non lucratif habilité à 100% à l’aide sociale) en tant que référent éthique et bientraitance dans cette volonté d’agir sur la structuration même de l’accompagnement des personnes âgées dans les établissements. Mon rôle, au sein de la direction générale, est donc de cordonner en qualité d'expert la démarche bientraitance, d’alimenter la réflexion du comité éthique puis d'accompagner la mise en œuvre des orientations auprès des professionnels des établissements.  Mes missions sont de :

- assurer la liaison entre les actions des différentes professions impliquées dans l'accompagnement et le soin,
- conseiller et accompagner les établissements sur la question,
- représenter l'association auprès des autorités de tutelle concernant les questions liées à la bientraitance,
- mettre en place des supervisions institutionnelles et des réflexions « métier » autour des fondamentaux gérontologiques,
- coordonner les actions des référents métiers du soin et de l'accompagnement,

L’idée est bien de placer l’éthique et la bientraitance au cœur des actions de l’association et de rendre opérationnels les grands principes d’accompagnement en permettant à chaque salarié de s’inscrire dans cette démarche. Cela veut aussi dire de prendre en compte la souffrance que le travail auprès des plus âgés peut occasionner, de trouver les moyens de la prévenir, notamment, par une meilleure définition du rôle de chacun et en s’intéressant à ce que veulent vraiment les personnes âgées. Il est primordial de donner du sens à l’accompagnement de la fin de la vie de nos résidents, leurs désirs et leurs besoins, à ce moment particulier, étant souvent différents de ce que l’on imagine.

MFDS : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre qui donne des repères concrets pour organiser une vie en EHPAD respectueuse de chacun, résidents et professionnels ?

JLN : J’ai voulu mettre par écrit ce que je fais passer quotidiennement à l’oral. Cette synthèse de ma pensée sur les EHPAD, et plus largement sur la vieillesse, est le fruit de nombreuses rencontres cliniques, des accompagnements de supervision ou d’analyse des pratiques (souvent dans les situations les plus complexes) que j’ai pu effectuer, mais aussi de mon expérience de résolution des crises. Ma volonté était de rendre compte, dans le langage le plus accessible possible de la richesse de l’accompagnement des personnes âgées, mais aussi de la complexité des approches et de la nécessaire réflexion que chaque professionnel devrait avoir sur sa posture, ses actions, mais aussi sur ses stéréotypes.

MFDS : Alors que nous ne nous étions jamais rencontrés, j’ai découvert que nous avions de relations communes avec l’association Old’up et Marie-Françoise Fuchs qui a dirigé l’ouvrage Mort ou vif en EHPAD (érès, 2023) et avec l’Espace éthique Île de France fondé par Emmanuel Hirsch et maintenant dirigé par Fabrice Gzil. Le 5 octobre, avec Sophie de Heaulme, codirectrice de la collection « L’âge et la vie », vous organisez une après-midi de réflexion sur la vie en EHPAD dans les locaux de l’Espace éthique avec la participation de Marie-Françoise Fuchs et le soutien de Isatis. Pouvez-vous nous en parler ?

JLN : Cette conférence avec Marie-Françoise et Old Up (dont je suis le référent scientifique par ailleurs) sera une intervention à deux voix : Marie-Françoise témoigne de la vie au grand âge tandis que je veux sensibiliser les professionnels (et plus largement la société) à entendre ce qui compte vraiment pour les personnes âgées  afin d’adapter nos pratiques.
Nos deux livres parlent de l’EHPAD et de la nécessaire prise en compte de la parole des vieux et nous souhaitons montrer une autre approche du vieillissement (qui n'est pas une maladie et ne se résume pas à la dépendance fonctionnelle). Les EHPAD sont nécessaires, il ne s’agit donc pas de les critiquer tout le temps, mais bien de les aider à accomplir une mission difficile. Je suis persuadé que la prise en compte de besoins spécifiques et individuels dans le respect des droits fondamentaux permet une vie heureuse en EHPAD. Le tout restant de bien définir la mission et le cadre institutionnel dans lequel l’on doit travailler.  

Ce qui nous guide avec Marie-Françoise peut se résumer dans l’argument du projet « Elderly » que j’ai mené avec Old Up autour du recueil de la parole de personnes de plus de 90 ans. Plutôt que de considérer cette dernière étape de vie comme le temps du désespoir, de la déficience ou de la maladie, nous voulions l’appréhender comme une chance : les personnes âgées acquièrent une sagesse et une spiritualité qui leur sont propres du fait de leur expérience et de leur vécu. Le grand âge est moins une période douloureuse marquée par un appauvrissement de ses capacités physiques qu’une ultime étape de vie riche et porteuse de sens pour soi et pour la société. C’est un temps où le corps donne certes le tempo de l’activité, mais où le psychisme ne faiblit pas dans ses capacités à découvrir des terres inconnues, à redonner vie et sens au passé, à vivre différemment l’instant présent, à rêver tout en donnant un sens nouveau à l’avenir qui ne se cantonne pas à la certitude de la mort.

L’espace éthique qui nous accueille pour cette conférence a toujours valorisé, justement, cette prise en compte du réel et favorisé cette réflexion sur ce qui est juste ou non, en développant les connaissances au-delà du ressenti des craintes et angoisses de la dépendance et de la mort.

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